CHAPITRE NEUF

Combien de temps se prolongea leur discussion, je ne saurais le dire. En tout cas, le lendemain matin, les femmes de ménage se plaignirent de la forte odeur de pipe et de bière qui régnait dans la chambre de Ramsès, et je fus obligée, en toute équité, de laver mon fils de cette accusation implicite. Lorsque je m’éveillai, Emerson était à mon côté. Il dormait du sommeil du juste, comme s’il avait la conscience parfaitement nette, et il souriait d’une manière propre à susciter les plus noirs soupçons. Il avait pris grand soin, en se couchant, de ne point me déranger.

Bien que j’eusse dormi seulement quelques heures, je me sentais régénérée et pleine d’ambition. Tel est l’effet que produit la juste indignation sur mon caractère.

Comme j’examinais le courrier du matin, attablée devant mon petit déjeuner, j’eus le plaisir d’y trouver des lettres d’Evelyn et de Rose. Cette dernière donnait des détails sur le retour de Bastet et me rassurait sur la santé d’icelle, en des termes qui ne laissaient aucun doute sur l’affection que vouait la scriptrice à cet estimable animal. Il est inutile de rapporter ici les conjectures de Rose concernant les raisons de la disparition de la chatte et de sa réapparition subséquente : en effet, j’ai déjà abordé ce sujet, et les événements ultérieurs devaient démontrer qu’elle avait – que nous avions vu juste. (Quoique personne ne m’ait jamais expliqué, de façon satisfaisante, pourquoi un félin d’une intelligence si remarquable avait fait preuve d’un tel aveuglement dans ce domaine particulier.)

La missive d’Evelyn contenait les habituelles et aimables nouvelles familiales. Hélas ! elle avait lu les articles de presse consacrés à l’émeute au British Museum, si bien que son appréhension et son désarroi remplissaient plusieurs pages de papier à lettres. Elle me pressait de quitter Londres sans délai, « car, écrivait-elle, lorsqu’on a affaire à des personnes mentalement perturbées, on ne peut jamais prévoir ce qui arrivera. Or, ma très chère Amelia, vous avez une extraordinaire propension à attirer ce genre de personnes ».

Je me promis de lui écrire séance tenante pour la rassurer – non seulement sur ce qu’elle avait lu dans les journaux, mais sur ce qu’elle risquait encore d’y lire. Il fallait espérer que Walter et elle ne fussent pas des lecteurs assidus du Morning Mirror. Non que le patibulaire individu de la photographie présentât la moindre ressemblance avec mon séduisant époux : son costume de rufian, son rictus féroce et sa fausse barbe à demi décollée (qui, par sa position, donnait l’impression qu’un petit animal à fourrure avait saisi Emerson à la gorge) l’eussent rendu impossible à identifier s’il n’y avait eu, sous le cliché, la légende destinée à éviter toute interprétation erronée de la part du lecteur. (« Le professeur Radcliffe Emerson, l’égyptologue renommé, assommant un constable au poste de police de Bow Street. ») Le texte d’accompagnement, émaillé d’allégations calomnieuses, n’omettait pas de citer l’établissement dans lequel nous avions été appréhendés. (J’entendais d’ici le cri d’horreur de ma tendre Evelyn : « Une fumerie d’opium ! Walter, jusqu’où iront-ils la prochaine fois ? »)

Dans son article du Daily Yell, Kevin ne faisait aucune allusion (pour des raisons évidentes) à l’incident de Bow Street. En revanche, il s’étendait complaisamment sur le « Mystère des Sinistres Statuettes », comme il l’appelait. Les ouchebtis avaient été envoyés à plusieurs autres savants mais, ainsi qu’il fallait s’y attendre, Emerson était de nouveau le personnage central de l’affaire.

Pauvre Evelyn… Remarquez, elle devait maintenant commencer à être habituée.

Je donnai consigne à la bonne d’emporter les journaux. À défaut d’empêcher Emerson de les lire, j’espérais pouvoir retarder ce pénible moment jusqu’à ce qu’il eût savouré en paix son petit déjeuner. J’y parvins de justesse ; Mary Ann quittait la salle à manger lorsqu’Emerson fit son entrée en la saluant avec sa jovialité coutumière.

— Bien le bonjour, Susan. (Il éprouve de grandes difficultés à se rappeler les noms des domestiques.) Serait-ce là, par hasard… ? Enfin, peu importe, je n’ai pas le temps de les lire, je suis très pressé ce matin.

Il me salua avec une égale gaieté – en prenant soin, toutefois, d’éviter mon regard.

— Bonjour, bonjour, ma chère Peabody. Quelle splendide matinée ! (Le brouillard était si dense qu’on ne distinguait même pas la grille du parc.) Bonjour, euh… Frank. (Le valet se prénommait Henry.) Qu’avons-nous de bon ce matin ? Des harengs fumés et salés… non, très peu pour moi, j’abomine ces créatures. Des œufs au bacon, je vous prie, John. (Le nom du valet n’avait pas changé, c’était toujours Henry.) Je suis très pressé ce matin.

Tout en parlant il triait son courrier, déchirant les enveloppes et parcourant les lettres d’un œil négligent avant de les jeter par-dessus son épaule.

— Où allez-vous donc avec tant de hâte, Emerson ? m’enquis-je. John… euh… Henry, veuillez apporter des toasts chauds. Ceux-ci sont complètement rassis.

— Mais… au Museum, bien sûr ! répondit Emerson. Je dois absolument terminer ce manuscrit, Peabody. Voici une nouvelle lettre de relance, fort impertinente, de mon éditeur, qui voudrait savoir quand il peut espérer le recevoir. Peste soit de son impudence !

Et la missive d’Oxford University Press suivit le même chemin que les précédentes.

J’avais pris la ferme résolution d’observer un digne silence sur tous les sujets, ce qui était aussi bien car Emerson ne me laissa pas le loisir de placer un mot.

— Et comment vont les chers petits, ce matin ? Vous êtes allée les voir, j’en suis sûr ; votre dévouement maternel est si… euh… si… N’est-ce pas votre avis, madame Waters ?

La gouvernante, qui attendait de discuter avec moi les arrangements domestiques de la journée, acquiesça en souriant.

— Oui, monsieur. Les enfants vont bien, monsieur. Seulement monsieur Ramsès est encore endormi, et je suis au regret de signaler qu’il y a une singulière odeur de…

— Euh… hum, oui, fit Emerson. Je suis au courant, madame Watkins. C’est tout à fait normal.

Je m’adressai à la gouvernante :

— Cela me fait penser… miss Violet me paraît avoir grossi dans des proportions stupéfiantes au cours de la semaine écoulée. Qu’a-t-elle donc mangé ?

— Tout, répondit-elle brièvement. Elle a un appétit incroyable, et je la soupçonne d’acheter des bonbons et des gâteaux à chacune de ses sorties. Son père a dû lui donner beaucoup d’argent de poche.

— Voilà qui ne ressemble guère à mon cher beau-frère, fit observer Emerson.

J’ignorai la remarque.

— Dites à la nounou de lui interdire d’acheter des gâteries. Ce n’est pas bon pour elle de se gaver de friandises.

— Je le lui ai dit, madame, mais elle est jeune et assez timide. Tandis que miss Violet…

— Oui, je sais, madame Watson. J’aurai un petit entretien avec miss Violet. Et peut-être qu’une autre nounou… ? J’ai oublié laquelle c’est, Kitty ou Jane.

— Jane, madame. Kitty a exprimé des doutes quant à sa capacité à assumer la tâche requise.

— Elle l’a fait après avoir rencontré miss Violet, je présume… Eh bien ! madame Watson, essayez une autre des bonnes. Parmi les postulantes qui ont répondu à mon annonce, aucune ne faisait-elle l’affaire ?

— Non, madame. J’ai engagé une jeune personne pour remplacer Jane. Elle avait d’excellentes références de la duchesse…

— Très bien, madame Watson. Comme d’habitude, je m’en remets à vous. Emerson…

— Je dois me sauver, dit-il en enfournant dans sa bouche le restant d’un toast. Passez une bonne journée, ma chérie. Avez-vous des projets particuliers ?

Je le regardai d’un air sévère, sans sourire. Cependant, bien que je me garde de lui en faire l’aveu, de crainte de flatter sa vanité, le seul fait de voir mon époux a le don d’adoucir ma rancune. Ses yeux bleu vif, en cet instant un brin étrécis par l’anxiété, ses lèvres fermes arborant un sourire hésitant, son vaste front orné d’ondulantes boucles noires… chacun des traits de son visage fait vibrer la corde de tendres souvenirs.

— Je vais à Scotland Yard, Emerson, dis-je posément. Je ne vois pas pourquoi vous posez cette question, puisque vous m’avez entendue prendre rendez-vous avec l’inspecteur Cuff.

— Je n’ai rien entendu de tel ! se récria-t-il, indigné. Mais j’aurais dû me douter que vous iriez. Il est inutile, je suppose, de vous prier d’y renoncer ? Oui, je le pensais bien. Ah, malédiction !

Il sortit tempétueusement, et je fus bien aise d’observer qu’il avait retrouvé toute son impétuosité. Je n’aime pas voir Emerson réservé, sur la défensive. Nos petits différends – qui ajoutent tellement aux joies du mariage – manquent singulièrement de piment lorsque mon mari n’est pas sur un pied d’égalité avec moi. (Et j’ose affirmer que de telles occurrences sont extrêmement rares.)

— Scotland Yard, madame Emerson ? s’inquiéta la gouvernante. Vous n’avez pas à vous plaindre, j’espère, de l’un ou l’autre des domestiques ?

Comment la chère âme innocente avait-elle réussi à rester dans l’ignorance de nos activités ? Je ne puis le concevoir. Je m’empressai de la rassurer :

— Non, madame Watson, c’est une affaire d’un ordre tout différent. Je m’en vais faire libérer un homme injustement accusé de meurtre.

— C’est… c’est très généreux, madame.

Le temps que j’arrive à New Scotland Yard, le brouillard s’était dissipé. L’inspecteur Cuff se montra enchanté de me voir.

— Chère madame Emerson ! J’ose espérer que votre aventure de la nuit dernière n’a pas eu d’effets néfastes sur votre santé ?

— Non, merci, je me porte comme un charme. Vous m’attendiez, je suppose ?

— Certes, madame. D’ailleurs, en prévision de votre visite, j’ai fait transférer le suspect ici même.

— Le suspect ? Mais il a été arrêté pour meurtre…

Cuff eut un sourire angélique.

— Je vous demande pardon, chère madame Emerson ? Je ne sais d’où vous tenez ce renseignement. Peut-être votre informateur a-t-il péché par exagération. Nous avons simplement prié Mr. Ahmet de nous assister dans notre enquête. Vous n’ignorez pas que, aux termes de la loi britannique, tout homme est présumé innocent tant que sa culpabilité n’a pas été prouvée.

— Très joli discours, inspecteur. Il n’en demeure pas moins que Mr. Ahmet est en détention et que vous ne m’avez toujours pas expliqué pourquoi vous l’avez appréhendé. Quelles sont vos preuves ? À quel mobile a-t-il obéi, selon vous, pour assassiner Oldacre ?

— Peut-être préférerez-vous parler avec lui et vous former une opinion par vous-même, repartit Cuff avec la plus grande courtoisie qui se pût imaginer. Par ici, madame Emerson, je vous prie.

Un robuste constable en uniforme gardait le captif, mais il suffisait de voir Ahmet pour comprendre qu’une telle précaution était superfétatoire. Celui-ci présentait tous les stigmates du drogué de longue date : visage jaunâtre, teint brouillé, maigreur extrême, mains agitées de tremblements et regard vague.

— Salaam aleikhum, Ahmet il Kamleh, lui dis-je. Me connaissez-vous ? Je suis Sitt Emerson, parfois surnommée Sitt Hakim. Mon seigneur (malheureusement, le mot arabe pour « époux » véhicule cette connotation) est effendi Emerson, Maître des Imprécations.

Il me connaissait. Une faible lueur d’intelligence s’anima dans ses yeux ; il se mit péniblement debout et exécuta une profonde, quoique vacillante, courbette.

— La paix soit avec vous, honorée Sitt.

— U’aleikhum es-sâlam, répondis-je. Warahmet Allâh wabarakâtu. Même s’il est peu probable, Ahmet, que vous puissiez espérer la clémence, fût-ce du Tout-Miséricordieux. Que dit le Livre Saint, le Coran, au sujet du péché de meurtre ?

Ses yeux chavirèrent.

— Je n’ai pas tué l’effendi, Sitt. Je n’étais pas sur les lieux. Mes amis vous le diront.

C’était là une protestation d’innocence singulièrement peu convaincante. Néanmoins, j’y ajoutai foi.

— Vous savez cependant quelque chose que vous n’avez pas dit, Ahmet. Si vous gardez le silence, vous serez pendu pour le meurtre. Sauvez votre âme. Confiez-vous à moi.

Il ne bougea pas, ne parla pas, mais je le surpris à couler un regard en coin vers le constable.

— Il ne comprend pas l’arabe, lui assurai-je.

— Ça, c’est ce qu’ils disent, ricana Ahmet. Mais ils mettent des espions parmi nous, Sitt Hakim. Certains d’entre eux parlent notre langue.

Il cracha soudainement, de la façon la plus choquante.

— Dans ce cas, dis-je, je vais lui demander de sortir.

Le constable souleva des objections, comme il fallait s’y attendre, mais j’eus tôt fait d’apaiser ses scrupules.

— Pensez-vous que cette misérable épave humaine oserait me menacer, constable ? Outre le fait que je suis solidement armée… – Je décrivis un moulinet avec mon ombrelle, faisant sursauter le policier et Ahmet – … il connaît mon mari, effendi Emerson. Il n’ignore pas la terrible vengeance qui s’abattrait sur sa tête et sur toute sa famille s’il s’avisait de toucher à un seul de mes cheveux.

Cette menace ne fut pas perdue pour Ahmet. Ses protestations volubiles et chevrotantes (adressées, pour certaines, à l’unique fenêtre à barreaux, comme s’il soupçonnait Emerson de planer à l’extérieur, tel un esprit désincarné) convainquirent le constable.

Lorsque celui-ci se fut retiré, j’indiquai un siège à Ahmet.

— Asseyez-vous et prenez vos aises, mon ami. Je ne vous veux aucun mal ; je suis venue vous aider. Bornez-vous à répondre à mes questions et vous retrouverez vos amis et votre famille.

Cette heureuse perspective ne plut manifestement pas à Ahmet. Une expression lugubre se répandit sur ses traits patibulaires.

— Qu’est-ce que vous voulez savoir, Sitt ?

Je m’éclaircis la gorge et me penchai en avant :

— Il y a une certaine femme – elle s’appelle Ayesha – que l’on rencontre parfois dans la fumerie d’opium de Sadwell Street. Je voudrais… je voudrais savoir…

Je me ressaisis d’extrême justesse. Avais-je été, moi, Amelia Peabody Emerson, sur le point de demander à cette misérable créature si mon époux, le digne et redouté Maître des Imprécations, avait coutume de rendre visite à une vile femme des rues ? En fait, oui, je l’avais été ! Réaction ô combien dégradante, ô combien méprisable !

J’avais touché une corde sensible, mais – grâce au Ciel – pas celle que je redoutais. Ahmet me lorgna d’un œil circonspect.

— Ayesha… répéta-t-il. C’est un nom assez répandu, Sitt, car Ayesha Abi Bekr était l’épouse honorée du Prophète, qui est mort dans ses bras…

— Je sais cela. Et vous savez de quelle femme je veux parler, Ahmet. Inutile de le nier. Qui est-elle ? Elle n’a pas l’air d’une opiomane. Que fait-elle en ce lieu ?

Ahmet haussa les épaules.

— Elle est la propriétaire, Sitt.

— De la fumerie ?

— Oui.

— Dieu du ciel ! – Je méditai cette nouvelle. Pour incroyable qu’elle fut, il n’y avait aucune raison qu’Ahmet l’eût inventée. – C’est donc une femme riche… ou du moins, une femme qui a de l’argent. Pourquoi se couvre-t-elle de haillons et reste-t-elle avec les malheureux fumeurs d’opium ?

Nouveau haussement d’épaules.

— Comment le saurais-je, Sitt ? La conduite d’une femme dépasse l’entendement.

— Hasardez une opinion, mon ami, dis-je en posant mon ombrelle sur la table, entre nous.

Mais Ahmet soutint qu’il s’interdisait d’avoir des opinions. Étant donné l’état de sa cervelle imprégnée d’opium, j’inclinais à le croire. En le questionnant plus avant, cependant, j’obtins l’aveu réticent que la lady Ayesha n’habitait pas sur place mais possédait sa propre maison, dans un autre quartier de Londres.

— Park Lane ? répétai-je d’un ton sceptique. C’est l’un des plus beaux quartiers de la ville, mon ami. Une femme comme elle, propriétaire d’une fumerie d’opium, n’irait pas se frotter à l’aristocratie.

Ahmet eut un regard concupiscent qui ne manquait pas d’éloquence.

— Se frotter, Sitt ? Elle ne s’en tient pas là.

Les hommes ne peuvent jamais résister à la tentation de faire une plaisanterie vulgaire. Dès qu’il eut proféré ces mots, une expression de terreur transforma ses traits, montrant ainsi qu’il en avait dit davantage qu’il n’en avait l’intention. Il refusa néanmoins d’entrer dans les détails, et je ne pus me résoudre à insister. La décence la plus élémentaire a des limites qu’une dame ne saurait franchir, même si elle est à la recherche d’un meurtrier.

Je m’apprêtais à partir quand je m’avisai que je ne l’avais pas questionné sur Mr. Oldacre. Il se montra encore moins disert sur ce sujet, répétant qu’il ne connaissait pas cet homme, n’avait jamais entendu parler de lui, ne l’avait jamais vu, et n’avait pas la moindre opinion sur quoi que ce fût. Lorsque je lui fis part de la remarque que j’avais entendue dans le panier à salade, Ahmet roula des yeux effarés.

— Ils viennent, murmura-t-il. Les croyants sincères et les hérétiques, hommes et femmes, princes et mendiants. Le hachisch et l’opium nous rendent tous égaux, Sitt, ils distribuent leurs libéralités à toutes les créatures d’Allah. Même à un vil insecte rampant comme Ahmet… Il y a bien longtemps – trop longtemps – que je n’ai pas rêvé… Trouvez-moi de l’opium, Sitt – et une pipe – une seule… Nous parlerons, et rêverons ensemble…

Qu’il battît la campagne ou fît seulement semblant, il avait trouvé un bon moyen de mettre un terme à la conversation. J’appelai le constable et abandonnai Ahmet à sa conscience – quelle qu’elle fût –, non sans lui avoir offert ma protection et recommandé de faire appel à moi à toute heure du jour ou de la nuit.

Cuff m’attendait dans le corridor.

— Alors ?

— Pourquoi cette question ? rétorquai-je. J’ai remarqué l’ouverture dans le mur de gauche, inspecteur. Qui écoutait, de l’autre côté ? Mr. Jones ?

L’inspecteur secoua la tête d’un air admiratif.

— Vous êtes trop rusée pour moi, madame Emerson. Ce n’était pas Jones, non. Je vous l’ai dit, il est en vacances. Nous avons plusieurs policiers qui parlent l’arabe, mais pas aussi couramment que vous. Pourquoi vous intéressez-vous tant à cette Ayesha ?

Je contre-attaquai par une autre question :

— Que savez-vous sur elle, inspecteur ?

— Rien qui justifie une enquête officielle. Je vous conjure, madame, de ne pas approcher cette personne. Ce n’est pas une compagnie convenable pour une dame comme vous.

— Je n’ai pas l’intention de la convier à dîner, inspecteur, ironisai-je. Toutefois, elle est manifestement une personnalité influente dans la communauté égyptienne, y compris dans la partie criminelle de ladite communauté – car des tenancières de fumeries d’opium ne peuvent guère être assimilées à des piliers de la société. J’avoue ne pas comprendre votre attitude évasive. Vous devriez interroger cette femme sans délai. De surcroît…

Nous étions descendus au rez-de-chaussée. Au pied de l’escalier, Cuff s’arrêta et, se tournant vers moi, dit d’un ton pressant :

— Madame Emerson, j’ai le plus grand respect pour votre tempérament et vos capacités. Cependant, aux yeux de Scotland Yard, vous êtes une civile et une dame – deux qualités qui m’interdisent de partager mes informations avec vous. Si je le faisais sans l’autorisation explicite de mes supérieurs, je risquerais un blâme, la rétrogradation, voire la perte de ma situation. Cela fait trente ans que je suis dans la police. J’espère me retirer sous peu, avec ma pension bien gagnée, dans ma petite maison de Dorking, où, suivant l’exemple de mon respectable père et de mon éminent grand-père, je consacrerai ma paisible vieillesse à cultiver mes roses. Il est véritablement hors de mes pouvoirs…

— Épargnez-moi le reste du discours, inspecteur, le coupai-je. Je l’ai déjà entendu : toujours les mêmes prétextes éculés, fondés sur l’arrogance masculine et le mépris des femmes. Je ne vous blâme pas ; vous n’êtes ni meilleur ni pire que les autres hommes, et je ne doute pas que vos supérieurs soient aussi aveugles et sectaires que vous.

Le visage terreux de Cuff arbora une expression d’intense désarroi. Une main pressée sur le cœur, il se récria :

— Madame Emerson, veuillez croire…

— Oh ! je crois que vous êtes animé des meilleures intentions. Pardonnez-moi si je me suis quelque peu échauffée. Je ne vous fais grief d’aucune mauvaise volonté. Pour preuve, lorsque j’attraperai le véritable assassin, je le remettrai entre vos mains. Je ne veux d’autre récompense que la satisfaction du devoir accompli. Je vous souhaite le bonjour, inspecteur.

Cuff était trop ému pour articuler une parole. Il s’inclina profondément et demeura dans cette position jusqu’à ce que j’eusse quitté le bâtiment.

Brandissant mon ombrelle, je hélai un cab. Comme le véhicule s’ébranlait, je vis entrer à Scotland Yard une silhouette qui m’était étrangement familière. Avant que j’aie pu y regarder de plus près, elle avait disparu à l’intérieur.

Emerson à Scotland Yard ? D’une certaine manière, je n’en étais pas surprise.

Où aller, à présent ? Le lecteur serait malavisé de croire que j’avais la moindre hésitation à cet égard. Peut-être Ahmet avait-il inventé une fausse adresse en vue de se débarrasser de moi, mais cela valait quand même la peine d’essayer.

Depuis quelques années, la vieille rue longeant Hyde Park avait subi une fâcheuse métamorphose, passant de l’élégance aristocratique à l’ostentation pure. Ce changement était dû pour une large part à des gens comme les Rothschild et à leur bon ami, le Prince de Galles. Le fait que Son Altesse Royale préférât la compagnie des milliardaires parvenus à celle de ses pairs constituait un mystère. D’aucuns affirmaient qu’il fallait y voir une rusticité innée, ou plutôt l’absence de cette sensibilité délicate que l’on aimerait à trouver chez un monarque britannique. Cependant, si tel était le cas, cela soulevait une inévitable question : de qui tenait-il cette déplorable tendance ? Certainement pas de son père, le prince le plus guindé, le plus convenable de tous les temps. Quant à sa mère, Sa Gracieuse Majesté… sans doute est-elle collet monté, suffisante et d’une intelligence quelque peu limitée. Mais vulgaire ? Jamais de la vie ! (Je n’accorde pas le moindre crédit aux rumeurs dégoûtantes concernant Sa Majesté et un certain Mr. Brown. Il faut convenir que les domestiques de la Reine ont parfois profité de sa bonne nature pour s’élever au-dessus de leur condition première. Brown l’avait certainement fait, et le dernier favori en date de la souveraine, Abdul Karim, qui se faisait appeler le Munshi, était presque aussi arrogant et impopulaire. Pour autant, je refuse véhémentement d’admettre que ces hommes eussent été davantage que des serviteurs favorisés.)

Le cab fit halte devant une belle maison ancienne, non loin du croisement de Park Lane et d’Upper Brook Street. Une impeccable soubrette répondit à mon coup de heurtoir. Elle portait la tenue habituelle – robe noire, tablier blanc et bonnet à ruchés – mais sa carnation olivâtre et ses yeux noirs limpides trahissaient sa nationalité. De toute évidence, Ahmet était plus digne de foi que je ne l’avais imaginé.

Je remis ma carte à la domestique.

— Dites à votre maîtresse que je voudrais lui parler.

Le comportement de la bonne montrait bien qu’elle n’était point accoutumée aux visiteuses de ma sorte. Refrénant sa surprise, elle prit ma carte et m’invita à attendre dans le boudoir pendant qu’elle allait voir si « Madame » était là.

Si je n’avais eu, d’ores et déjà, la certitude d’avoir débusqué ma proie, j’aurais pu m’interroger en voyant la pièce dans laquelle on m’introduisait, car celle-ci ne comportait pas un seul objet qu’on n’eût pu trouver dans le salon anglais le plus moderne et le mieux aménagé. En fait, une personne cynique aurait pu se demander si ce n’était pas la caricature d’un salon anglais moderne et bien aménagé. Les murs étaient couverts à profusion de tableaux et de miroirs dont les cadres dorés étaient si larges qu’ils faisaient paraître minuscule l’espace enclos. Le tapis était à peine visible tant il y avait de meubles : lourds canapés sculptés, fauteuils rembourrés, coussins d’agenouilloir, et des tables, des tables, et encore des tables – toutes chastement drapées de lourdes étoffes qui cachaient leurs « membres inférieurs », comme avaient coutume de dire les dames guindées de l’époque.

La bonne ne tarda pas à revenir et me pria de la suivre. Nous gravîmes un escalier et suivîmes le couloir du premier étage, recouvert d’un tapis. Elle ouvrit une porte et me fit signe d’entrer.

J’eus la sensation de passer du XIXe au XVe siècle – de franchir, en une seule enjambée, les milliers de kilomètres qui séparent Londres du vieux Caire.

Des tapis persans, empilés les uns sur les autres, recouvraient le parquet. Murs et plafond étaient tapissés de brocart doré, jusques et y compris les fenêtres – à supposer qu’il y eût des fenêtres, car pas un rai de lumière ne filtrait dans la pièce. Le seul éclairage était dispensé par des lanternes ouvragées, suspendues à des chaînes si fines que le moindre déplacement d’air les faisait vaciller, envoyant des taches de lumière mordorée sillonner l’obscurité telles des étoiles filantes.

Sur l’instant, je crus qu’il n’y avait personne. Néanmoins, une fois que mes yeux se furent ajustés à la pénombre, je distinguai une forme, immobile comme une statue, assise sur un divan adossé contre le mur du fond. Inconsciemment, mes mains se resserrèrent sur le manche de mon ombrelle. Je n’avais nulle raison de redouter une attaque, car je ne détenais aucune information de nature à la menacer. Mais l’atmosphère me rappela, péniblement, une autre pièce semblable dans laquelle j’avais récemment passé quelques-unes des heures les plus inconfortables de mon existence, et la fumée au parfum douceâtre qui s’élevait d’un brasero bas, près du divan sur lequel elle était étendue, me donna des vertiges.

Cela ne dura pas. Je me rappelai ma mission. Je me rappelai qui j’étais, et quelle femme elle était. En Orient, la coutume veut que l’inférieur attende qu’on lui adresse la parole avant de parler. Je m’éclaircis la gorge et dis :

— Bonjour. Pardonnez-moi de vous déranger. Je suis…

— Je sais qui vous êtes. – Elle fit un geste d’une grâce exquise. – Asseyez-vous là.

Ce n’était pas un siège qu’elle m’indiquait, mais un coussin bas. La plupart des Anglaises, j’en réponds, auraient jugé la position inconfortable, voire impossible à prendre. Je m’assis sans hésiter et arrangeai avec soin les plis de ma robe.

Elle n’était maintenant qu’à quelques centimètres de moi, mais je ne pouvais toujours pas distinguer ses traits avec netteté, car elle portait le long burko, ou voile facial, accroché à un diadème incrusté de pierreries qui lui ceignait le front. Ce voile, fait de mousseline ou de soie blanche, n’est d’ordinaire pas porté en présence d’autres femmes. Sans doute Ayesha entendait-elle par là m’infliger une subtile insulte, mais celle-ci était trop subtile pour moi ; je n’en compris pas la signification. Son voile était si fin qu’il soulignait l’ovale parfait de son visage, le nez fort et le menton volontaire. Elle était tête nue. La chevelure ondoyante qui cascadait sur ses épaules avait la brillance du satin noir. Sa tenue était de celles que portent les Égyptiennes de haute naissance dans l’intimité du harem : ample pantalon à rayures en soie et longue chemise qui moulait étroitement son buste et ses bras, laissant dénudée la moitié de la poitrine. Toutes les zones ainsi définies, ou dévoilées, étaient admirables – de contours comme de texture. Sa peau luisait tel de l’ambre poli.

Sa pose était négligente, voire arrogante. Appuyée sur un coude, elle leva un genou, faisant glisser le vêtement de soie qui révéla une jambe aussi parfaite que celle d’une nymphe. Le pantalon – au mépris de la coutume établie – était fendu de la hanche à la cheville.

— Comment m’avez-vous retrouvée ? demanda-t-elle.

Elle parlait anglais, avec seulement une légère trace d’accent. Les manières orientales sont subtiles et rusées. Les femmes, surtout, à qui l’on dénie le droit de s’exprimer sur pratiquement tous les sujets, ont mis au point leurs propres méthodes pour manifester le dédain. Le fait d’utiliser ma langue maternelle – car elle devait savoir que je parlais la sienne – était un moyen d’affirmer sa supériorité, et la question elle-même en disait bien plus que les simples mots. (Par égard pour mes lecteurs les plus obtus, je vais mettre les points sur les i. En s’abstenant de me demander pourquoi j’étais venue, elle confirmait que j’avais une bonne raison de le faire. Ce que pouvait être cette raison, même un lecteur obtus devrait le subodorer.)

Je n’étais pas encline à ignorer le défi, ni à trahir Ahmet, qui, estimai-je, avait déjà suffisamment de déboires.

— Vous dites me connaître, Ayesha. Vous devez donc savoir que j’ai mes méthodes pour retrouver les gens. Je vous ai vue cette nuit, et mes yeux perçants ont pénétré votre déguisement.

— Cette nuit ? – Son long cou s’incurva, tel un cobra sur le point de frapper. – À la… Wahyât ennebi ! C’était donc vous ?

— C’était moi, dis-je avec calme. Vos yeux n’ont pas pénétré mon déguisement.

— Ainsi, il vous a emmenée là-bas. Du moins, il a permis…

Je m’abritai les yeux, éblouie par une soudaine lumière. Lorsque j’abaissai ma main, je vis qu’Ayesha avait allumé une lampe à pétrole. Celle-ci était placée de telle sorte que les rayons éclairaient en plein mon visage ; je compris alors pourquoi elle m’avait enjoint de prendre ce siège particulier.

Elle m’observa en silence pendant un long moment, me sembla-t-il. Je demeurai immobile et la laissai m’examiner à satiété. Je savais ce qu’elle voyait – ni chevelure ondulante, ni membres graciles, ni traits d’une exquise beauté – mais j’avais su, avant même de venir, que je ne pourrais pas rivaliser avec elle sur ce plan-là. Je n’avais pas l’intention d’essayer.

Enfin, un son sibilant, qui aurait pu être un rire ou un sifflement de mépris, s’échappa de ses lèvres.

— Il vous a emmenée là-bas, répéta-t-elle, songeuse. J’avais entendu dire… Mais je trouvais cela difficile à croire. Donc, Sitt Hakim, épouse du grand effendi Emerson… vous m’avez débusquée. Vous honorez mon humble demeure. Que voulez-vous de moi, la plus vile des viles esclaves ?

J’ignorai sa tirade ironique et me lançai dans le petit discours que j’avais soigneusement préparé.

— J’ai besoin de votre aide, miss… euh… madame Ayesha, pour capturer un meurtrier. Vous êtes sûrement au courant que l’un de vos compatriotes a été arrêté pour l’assassinat de Mr. Oldacre ?

— Je le sais, en effet.

— Et vous savez également qu’Ahmet est innocent.

— Cela, je l’ignore. Comment le saurais-je ?

— Allons, ma chère… enfin, madame Ayesha. Cessons de finasser. Nous savons, vous et moi, que les policiers, en leur qualité de simples hommes, ne sont pas d’une intelligence supérieure. Toutefois, ils ne sont pas sots au point de croire qu’un misérable ver de terre comme Ahmet a pu commettre ce crime. C’est un de leurs stratagèmes. Après avoir médité la question, je suis parvenue à la conclusion que s’ils lui ont « demandé de les assister dans leur enquête », pour reprendre leur expression, c’est uniquement parce qu’ils soupçonnent un membre de la communauté égyptienne d’être impliqué dans le meurtre. Ahmet est un bouc émissaire, un appât, un informateur en puissance.

Elle écouta attentivement, ses grands yeux noirs fixés sur mon visage. Lorsque je me tus, invitant sa réponse, elle fut lente à réagir. Finalement, elle marmonna :

— C’est possible. Mais en quoi cela me concerne-t-il ? Je ne crains pas ces lourdauds de Scotland Yard. J’ai des amis puissants…

— Je n’en doute pas. Cependant, les amis peuvent se révéler de faux amis, quand le danger ou la disgrâce menacent. À tout le moins, les attentions de la police risquent de perturber vos… euh… vos activités professionnelles, comme ce fut le cas cette nuit. Je suis maintenant convaincue que l’assassin n’est pas un Égyptien mais un Anglais…

— Quoi ? Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?

— Vous posez des questions, sitt, mais vous n’y répondez pas. – Je parlais à présent en arabe. – Vous en savez, je pense, plus que vous ne l’admettez. Fortunée et influente telle que vous l’êtes, comment pourriez-vous être dans l’ignorance de ce qui se passe parmi les vôtres ?

Elle se redressa, croisa les jambes et fit reposer son menton sur sa longue main fine.

— Je suis dans l’ignorance de cette affaire-là, tout au moins. Vous ne voulez pas me croire…

— Si vous dites la vérité, sitt, je vous suggère respectueusement, dans votre propre intérêt, de vous informer. Ensemble, nous pourrions accomplir de grandes choses. En notre qualité de femmes – des femmes de grande compétence, chacune dans sa sphère particulière…

Son petit rire sifflant – car j’avais décidé qu’il devait s’agir d’un rire – m’interrompit :

— Vous nous comparez, Sitt Hakim ? Vous devez vraiment avoir besoin de moi, pour vous abaisser à ce point.

— Nullement. Je vous accorde seulement ce qui vous est dû. Les coutumes orientales me sont familières, et je suis consciente des difficultés que vous avez dû surmonter pour conquérir la richesse et l’indépendance…

— Vous êtes folle ! Comment pourriez-vous savoir, comment pourriez-vous seulement concevoir… Ah, je suis folle, moi aussi, de dire pareilles insanités !

Elle se rejeta en arrière contre les coussins, les poings crispés.

J’avais dit, ou fait, quelque chose qui avait détruit le lien de compréhension ténu qui commençait à se tisser entre nous. Je n’avais pas la moindre idée de ce que cela pouvait être. À moins que…

— L’Anglais, dis-je. Cet homme existe bel et bien, n’est-ce pas ? Vous connaissez son existence. Peut-être même le connaissez-vous. Cet homme vous inspire-t-il de la crainte ? Si tel est le cas, Emerson et moi vous cacherons dans nos ombres. Est-il votre amant ? L’amour est une fleur fragile, Sitt Ayesha. Les hommes la foulent aux pieds quand le souffle froid du danger vient à faner ses pétales.

— Tous les hommes, sitt ? Même le vôtre ?

Elle cracha littéralement ces mots.

— Vous vous méprenez sur…

— Vraiment ? Vous inventez des contes à dormir debout sur un lord anglais assassin – c’est une histoire divertissante, Sitt Hakim, mais ce n’est pas le véritable motif de votre visite. Vous êtes venue me demander si effendi Emerson est infidèle. Qui, mieux que moi, peut lire dans votre cœur ?

— Nombre de gens, répondis-je froidement. Regardez-moi, Ayesha. Si vous pouvez lire dans mon cœur – ou sur mon visage, qui est un guide plus accessible – vous verrez que jamais, pas un instant, je n’irais douter d’Emerson. Nous ne faisons qu’un, et ce pour toujours.

— Mais je l’ai connu autrefois, ronronna-t-elle. J’ai connu la force de ses grands bras, le contact de ses lèvres, ses caresses. Est-il toujours…

J’espère et je crois n’avoir point trahi, ni par le geste ni par l’expression, les sensations qui m’étreignaient des sensations qui ne méritent pas d’être rapportées ici, pas plus que les phrases qu’employa alors Ayesha, accompagnant ses mots de gestes crus de ses fines mains brunes et de son corps ondulant Pourtant, son désir de me blesser causa sa perte. Dans son excitation, elle s’avança progressivement, au point que son visage en arriva presque à toucher le mien, et que la lumière de la lampe à pétrole, pour la première fois, illumina ses traits. Ni le voile transparent, ni l’épaisse couche de fard, ne pouvaient dissimuler la blessure irrégulière qui lui avait entaillé la joue jusqu’à l’os, y laissant une cicatrice violacée.

Trop tard, elle s’avisa de son erreur. Elle s’interrompit, étouffant un cri, et se recula dans les ombres.

L’espace d’un moment, je fus incapable de parler. La colère, le dégoût et – oui – la pitié m’étouffaient. Refrénant ces émotions avec mon efficacité coutumière, je m’éclaircis la gorge.

— Vous me pardonnerez si je m’abstiens d’imiter votre franchise, madame. Ce qui se passe entre mon époux et moi-même est d’ordre privé. Je puis vous assurer, toutefois, que je n’ai nullement à me plaindre sur ce plan-là – ni sur aucun autre – et que mon cher Emerson partage mes sentiments.

L’une de ses mains jaillit et me saisit par le poignet, ses longs ongles vernis s’enfonçant douloureusement dans ma chair.

— Est-il donc impossible de vous émouvoir, espèce d’Anglaise frigide ? Que puis-je faire pour vous blesser ? Vous êtes de glace, vous êtes de pierre ! Quels pouvoirs magiques possédez-vous, pour avoir conquis un tel homme et le garder ?

— Je n’en ai aucune idée, admis-je. Néanmoins, il y a beaucoup de qualités, autres que la beauté physique, qui peuvent attirer l’un vers l’autre deux individus de sexe opposé et cimenter les liens de l’affection conjugale. Peut-être aurez-vous un jour la chance d’en faire l’expérience. Je vous le souhaite sincèrement. Ce qui me ramène au lord anglais…

— Quel lord anglais ? Ce personnage n’existe pas. – Elle rejeta ma main avec violence. – Laissez-moi, Sitt Hakim. Je ne puis vous vaincre. Je ne puis même pas vous combattre à armes égales, car vous possédez des armes qui dépassent mon entendement. Laissez-moi.

Je me levai (avec moins de grâce qu’elle, peut-être, mais sans effort).

— Très bien dis-je. Je n’espérais pas que vous seriez disposée à vous confier à moi dès ma première visite.

— Première…

— Veuillez garder à l’esprit que je me tiens prête à vous aider par tous les moyens possibles. La vie que vous menez ne saurait vous rendre heureuse. Vous devriez envisager de vous retirer à la campagne. Il n’est rien de plus apaisant, pour une âme blessée, que la solitude et la contemplation de la nature…

Ayesha roula sur le flanc et enfouit son visage dans les coussins. Interprétant cela comme le signe que la conversation était terminée, je gagnai la porte.

— Souvenez-vous de ce que j’ai dit. Envoyez-moi chercher à tout moment.

— Sitt Hakim…

Elle ne bougeait pas. Sa voix était étouffée, altérée.

— Oui ?

— Vous reconnaîtrez mon messager si jamais il vient. Mais je ne promets pas qu’il viendra.

— Je l’espère, en tout cas.

— Sitt Hakim ?

— Oui.

— Avant la nuit dernière, je n’avais pas revu effendi Emerson depuis bien des années. C’est en Égypte que je l’ai connu, pas en Angleterre. Il n’est jamais venu me voir ici.

— Ah, vraiment ? Eh bien, je pense qu’il le fera sous peu.

Cette fois, elle ne me rappela point.

Après que la bonne m’eut rendu ma cape, je traversai Park Lane et trouvai un siège dans le parc, face à la maison que je venais de quitter. Emerson viendrait-il ? Je n’en étais pas certaine. Ma flèche du Parthe m’avait été dictée par le ressentiment et le désir d’apparaître futée (car il m’arrive, même à moi, de succomber à ce genre de défauts. Et, compte tenu de la provocation, j’estimais au total m’être fort bien comportée).

C’était bien Emerson, j’en étais sûre, que j’avais vu entrer à Scotland Yard. Sachant que j’avais l’intention de m’y rendre, il avait probablement attendu de me voir partir. Eût-il attendu un peu plus longtemps que je ne l’aurais pas aperçu, mais Emerson est ainsi fait : l’impatience est sa plus grande faiblesse.

« Un prêté pour un rendu, professeur Emerson ! » me dis-je. J’allais attendre un moment, moi aussi, pour voir si mon mari suivait la même piste que moi. Mais peut-être pas pour les mêmes raisons…

Je n’étais pas assise depuis bien longtemps lorsque je vis un cab s’arrêter et Emerson en descendre d’un bond. Dès qu’il fut entré dans la maison, je pris la précaution de héler un autre cab ; je montai dans le véhicule et enjoignis au cocher d’attendre. L’absence d’Emerson ne dura même pas cinq minutes. Il sortit plus précipitamment encore qu’il n’était entré et resta sur le trottoir à scruter les environs d’un air soupçonneux. De toute évidence, Ayesha lui avait fait part de ma visite et il craignait que je ne rôdasse dans les parages.

J’ordonnai à mon cocher de partir. L’œil collé contre la petite fenêtre sale, je regardai Emerson traverser la rue et sillonner le parc en tous sens. Je le vis engagé dans une altercation avec une dame à peu près de ma taille, coiffée d’une capote à l’ancienne mode, en forme de pelle, qu’il avait tenté de lui enlever. Puis le cab tourna dans Upper Brook Street et je le perdis de vue.

 

Il est impossible d’exprimer pleinement les émotions qui se mêlaient en moi à la suite de mon entretien avec Ayesha (surtout dans les pages d’un journal qui pourrait fort bien être publié un jour – non sans un grand nombre de coupes préalables, cela va sans dire). Mon cerveau était un bouillonnant chaudron de spéculations.

Si Ayesha avait dit vrai, je n’avais aucun reproche à adresser à Emerson. Il eût été malvenu de lui tenir rigueur d’actes, de paroles, de pensées ou de sentiments antérieurs à ce moment inoubliable où il s’était donné à moi, corps et âme, pour le meilleur et pour le pire.

Mais avait-elle dit vrai ? Pauvre beauté saccagée, elle avait toutes les raisons de me mentir et pas la moindre de me rassurer. Je me demandai si elle avait éprouvé à mon endroit la même compassion réticente que j’avais ressentie pour elle. Nous avions, en sus d’Emerson, quelque chose en commun (et j’avoue en toute franchise que, pour sensé que fût mon raisonnement sur ce sujet, ma réaction émotionnelle ne me faisait point honneur). Elle était une femme de caractère, qui avait surmonté des obstacles plus grands encore que ceux auxquels j’avais dû faire face. À en juger d’après sa physionomie, elle avait du sang anglais ou européen dans les veines. Une métisse – car tel est le terme chargé d’opprobre – supporte un double fardeau : elle est méprisée par la famille de sa mère, n’est pas reconnue par celle de son père. Ajoutez à cela la situation des femmes dans son pays – encore plus indigne que celle des femmes dans l’Angleterre dite « éclairée » – et je ne pouvais guère la blâmer de recourir au seul moyen possible pour échapper au gouffre dégradant du semi-esclavage qui eût été son destin si elle avait suivi le parcours conventionnel de toute Égyptienne : mariage précoce, grossesses successives, ennui, misère et mort prématurée.

Ayesha était une femme intelligente mais, dans son agitation, elle avait commis un petit impair. Restait à savoir jusqu’à quel point il était significatif. En tout cas, il m’avait ouvert de nouveaux horizons que j’entendais bien explorer.

De retour à la maison, j’appris que j’avais manqué Mr. O’Connell. Il était resté un certain temps – « à tourner en rond dans le salon en parlant tout seul », selon Gargery – avant d’abandonner sa quête, mais il avait laissé un mot. Bien que celui-ci me fût adressé, certains des reproches qui y étaient formulés visaient manifestement Emerson.

— Eh bien ! dis-je en jetant le billet de côté, je suis navrée de constater que Mr. O’Connell est si mauvais perdant. Il m’a joué des tours plus pendables que celui-là. En amour, à la guerre et dans le journalisme, Gargery, tous les coups sont permis.

— J’ai pris la liberté de faire une remarque en ce sens à Mr. O’Connell, mais ce n’était pas formulé aussi bien que madame l’a fait. Le professeur et madame ont une façon saisissante d’exprimer les choses, si je puis me permettre de le dire.

À l’heure du thé, Emerson n’était toujours pas rentré. Après avoir attendu un quart d’heure supplémentaire, j’ordonnai qu’on servît le thé et annonçai à Mrs. Watson qu’elle pouvait faire descendre les enfants. Percy et Violet furent les premiers à apparaître. Ils étaient tous deux impeccables, mais la robe de Violet – trop serrée dans le dos, au grand dam des boutons – me rappela le sermon que j’avais eu l’intention de lui faire. Je passai à l’acte et l’informai que, désormais, elle n’aurait droit qu’à un biscuit ou à une tranche de cake pour le goûter. Ayant avalé gloutonnement sa ration autorisée et tenté en vain de me fléchir, elle se retira dans un coin, enfermée dans un silence boudeur.

Percy avait décidé, les papillons étant en nombre insuffisant à Londres, de commencer une collection de scarabées. Il entreprit de tout me raconter par le menu, et je confesse que la venue de Ramsès fut pour moi un tel soulagement que je l’accueillis avec une affection plus marquée qu’à l’ordinaire, nonobstant le fait qu’il empestait quelque affreux produit chimique qui avait troué son pantalon en plusieurs endroits.

— J’ai pratiqué des tests sur l’ouchebti, maman, expliqua-t-il en me tendant l’objet. Je suis convaincu, à présent, qu’il est authentique. La colle ancienne brûle à la flamme jaune, tandis que les imitations modernes…

— Je te crois sur parole, Ramsès, l’interrompis-je. Je n’ai jamais douté de l’authenticité de l’ouchebti.

— Votre instinct était correct, maman, répondit-il avec une ineffable condescendance. Toutefois, j’ai jugé opportun de pratiquer ces tests dans la mesure où, comme vous le savez sans doute, les ouchebtis royaux ne sont pas légion, même dans les musées.

Percy eut un rire juvénile.

— Tu es vraiment un drôle de gars, Ramsès. Incroyable de savoir tout ça !

Il donna à Ramsès un coup de coude taquin. Voyant que Ramsès se préparait à le lui rendre, je dis d’un ton sec :

— Ne vous disputez pas, les enfants. Ramsès, viens t’asseoir à côté de moi. Et donne-moi cet ouchebti, je ne tiens pas à ce qu’il se casse.

Ramsès obtempéra. Je m’écartai subrepticement de lui, car son odeur ne s’améliorait pas avec la proximité.

— Il s’agit donc d’un ouchebti royal ? Je le pensais bien, mais je n’avais pas lu l’inscription.

— Men-maat-Rê Sethos Mer-en-Ptah, dit Ramsès. C’est une coïncidence intéressante, maman. Le nom de Sethos ne nous est pas inconnu.

— Tu as malheureusement raison.

— Il n’est pas possible, je présume, que nous soyons de nouveau engagés dans un duel d’astuce avec ce mystérieux génie du crime, ce maître du déguisement, le Maître…

— J’espère bien que non, Ramsès. Et je ne saurais trop te conseiller de ne pas répéter devant ton cher papa les expressions que tu viens d’employer.

— Je m’en garderai bien, maman, ayant observé que les allusions de ce genre mettent papa dans un état de fureur qui outrepasse ses manifestations ordinaires d’irritabilité. Je n’ai jamais très bien compris pourquoi.

— Parce que Sethos nous a échappé, voilà pourquoi.

Ramsès acquiesça gravement.

— Cette possibilité m’avait effleuré, mais elle n’explique pas entièrement le caractère singulier de la fureur de papa. Certes, le gredin a eu l’impudence de vous retenir captive, maman, et l’attachement de papa à votre endroit est si grand que l’on peut comprendre son désir bien naturel d’assouvir sa vengeance sur un individu qui a menacé votre vie…

— Précisément, Ramsès. Il éprouverait les mêmes sentiments si tu avais été retenu captif.

— Et pourtant, insista Ramsès, il y a un élément, indéfinissable et néanmoins persistant, qui m’échappe. Par exemple, maman, la lettre laissée par Sethos contenait plusieurs phrases inexplicables. Il semblait vous rendre responsable des actes criminels qu’il envisage de commettre à l’avenir. La conclusion évidente est que vous avez refusé de faire une certaine chose qui l’aurait détourné de ses nuisibles projets. Toutefois, je n’imagine pas ce que cela peut être.

— Non ? fis-je en exhalant un long soupir de soulagement. Eh bien ! Dieu merci, il y a encore des choses… Peu importe, Ramsès. Nous n’entendrons plus parler de Sethos, j’en ai la conviction. La présente affaire ne porte pas sa griffe caractéristique. D’autre part, ajoutai-je en jetant un coup d’œil à Percy, je préférerais ne pas discuter de ce sujet.

À vrai dire, Percy ne prêtait aucune attention à la conversation. Il avait sorti de sa poche un objet qu’il examinait avec un sourire satisfait : une très belle montre, apparemment en or massif. Je m’apprêtais à faire remarquer qu’un garçon de son âge était trop jeune pour posséder un tel bijou quand celui-ci me parut familier.

— On dirait ta montre, Ramsès. Celle que miss Debenham t’a offerte.

Le sourire de Percy s’élargit.

— C’est bien la montre de Ramsès, tante Amelia. Plus exactement, c’était. Il me l’a donnée pour mon anniversaire.

Le visage de Ramsès était, si possible, encore plus inexpressif que d’ordinaire. Il avait pourtant paru enchanté de cette montre, qu’Enid Debenham (aujourd’hui Enid Fraser) avait tenu à lui offrir, et que j’avais mise de côté en attendant qu’il fût suffisamment grand et soigneux pour la porter. Il s’en était apparemment lassé, à moins que son attachement pour la jeune demoiselle n’eût faibli après le mariage d’icelle, que Ramsès n’avait point approuvé.

— Tu n’aurais pas dû te défaire d’un cadeau donné par une amie, Ramsès, lui dis-je.

Aussitôt, Percy me tendit la montre.

— Je n’avais pas pensé à cela, tante Amelia. Vraiment, je suis désolé. Tenez, Ramsès n’a qu’à la reprendre.

— Non. S’il te l’a donnée, elle est à toi. Son geste partait d’un bon sentiment. Néanmoins, c’est un objet trop précieux pour un petit garçon. Je vais la mettre de côté et je la confierai à ta maman quand elle viendra vous chercher.

— Certainement, tante Amelia. J’avais d’ailleurs l’intention de vous le demander. Je voulais juste la porter un petit moment, parce qu’elle est très belle et parce que… c’est aujourd’hui mon anniversaire.

Son désappointement était évident, mais il s’était si bien comporté que j’eus pitié de lui.

— J’ignorais que ce fut ton anniversaire, Percy. Nous devons absolument fêter cela. Si nous sortions demain ? Où aimerais-tu aller ?

Violet sortit de sa léthargie :

— Si Percy a un gâteau d’anniversaire et plein de choses à manger pour le goûter, est-ce que je pourrai avoir deux parts de gâteau ? Ou trois ?

— Nous verrons, répliquai-je brièvement. C’est l’anniversaire de ton frère, c’est à lui de décider de ce qu’il veut faire. Réfléchis à la question, Percy, et fais-moi connaître ta réponse demain matin.

Les lèvres de Percy frémirent.

— Oh ! tante Amelia, vous êtes si bonne et généreuse ! Merci, merci infiniment. Et à toi aussi, cousin Ramsès, pour la magnifique montre.

Il donna à Ramsès une tape amicale sur l’épaule. Ramsès lui rendit la politesse. Quoiqu’il fût encore assez tôt, je renvoyai chacun dans sa chambre.

J’avais décidé de m’habiller pour le dîner. L’honnêteté m’oblige à reconnaître que j’avais pris ce parti dans le seul but de contrarier Emerson, qui déteste précisément s’habiller pour le dîner. Accoutumée comme je l’étais au style décontracté que nous pratiquions à la maison, j’oubliais toujours que, dans la plupart des demeures aristocratiques, on observait des horaires très stricts (qui, parfois, semblaient établis davantage pour la commodité du personnel que pour celle des maîtres). C’est ainsi que, en ouvrant la porte de ma chambre, je surpris l’une des bonnes accroupie devant la cheminée.

Elle poussa un cri aigu et se recroquevilla en boule. Avant même que j’eusse pu la rassurer, Mrs. Watson accourut, l’air fâché. Elle était fâchée contre moi, parce que j’étais montée de bonne heure – mais, comme elle ne pouvait pas le dire, elle entreprit de tancer la servante.

— Vous auriez dû finir d’allumer le feu avant l’arrivée de Mrs. Emerson. À présent, courez en bas chercher l’eau chaude.

La fille détala sans demander son reste.

— Rien ne presse, madame Watson, lui assurai-je. Je suis en avance. Le professeur a-t-il précisé quand il rentrerait ?

— Non, madame, mais il ne va certainement pas tarder, car il a toujours la délicatesse de me prévenir quand il prévoit d’être en retard pour le dîner. Dois-je dire à la bonne d’attendre le retour du professeur pour monter l’eau chaude ?

Comme tant d’autres « commodités » modernes, le dispositif qui avait été installé dans le but de produire de l’eau chaude tombait sans arrêt en panne, au point qu’Evelyn en était revenue aux bonnes vieilles coutumes d’autrefois. J’informai Mrs. Watson que je n’attendrais pas mon mari, puis je m’assis, les pieds posés sur le pare-feu. Il commençait à pleuvoir et la soirée était fraîche.

J’avais décidé de ne faire aucune allusion à ma visite à Ayesha et de ne pas montrer, par un quelconque changement d’attitude, que cette entrevue avait eu lieu. Emerson savait forcément que j’y étais allée. C’était à lui d’aborder le sujet. S’il avait la conscience nette, il le ferait. Après tout – me répétai-je – il n’avait pas de comptes à me rendre pour ses faits et gestes antérieurs à notre rencontre. Je savais que pas une fois, depuis ce moment-là, son dévouement n’avait failli. Oui, je le savais car ma confiance en lui était absolue, et aussi parce qu’il n’avait pas eu tant d’occasions. Du moins, pas quand nous étions en Égypte. Du moins…

Il y avait bien eu des fois où Abdullah et lui étaient partis ensemble, censément pour visiter le village du raïs, près du Caire. Abdullah n’aurait pas hésité à mentir pour protéger l’homme qu’il admirait par-dessus tout.

Ayesha affirmait qu’Emerson n’était jamais allé la voir en Angleterre. Mais elle n’avait pas précisé quand elle était arrivée en Angleterre, et elle ne m’avait pas donné l’impression d’une femme prête à mourir sur le bûcher plutôt que de proférer un mensonge. Durant les années où nous avions vécu dans le Kent, avant de reprendre nos fouilles, Emerson allait souvent passer la journée – voire plusieurs jours d’affilée – à Londres. À l’époque, il donnait des conférences à l’University College et travaillait dans la salle de lecture du British Museum. Aucune de ces deux activités ne suffisait à occuper une journée entière.

Arrachée à mes sombres pensées par un curieux grincement, je regardai tout autour de moi avant de m’apercevoir que le bruit provenait de ma personne – plus exactement, de mes dents. Je détendis mes mâchoires et me remémorai les excellentes résolutions que j’avais prises. Je ne ferais pas insulte à mon bien-aimé conjoint en glissant des allusions, fussent-elles indirectes, à d’aussi injustes soupçons. Non, j’attendrais qu’il abordât de lui-même le sujet d’Ayesha. Ce serait naturel qu’il le fît. Dans le cas contraire, ce serait anormal. En raison du départ précipité d’Emerson, le matin même, et de son absence prolongée, nous n’avions pas eu le loisir de discuter de notre aventure de la nuit précédente, ni de spéculer, selon notre agréable coutume, sur les diverses théories et solutions. Il serait extrêmement étrange, eu égard aux circonstances, que le nom d’Ayesha ne fut point prononcé.

 

*

* *

 

Emerson nourrit la touchante illusion qu’il est capable de marcher sur la pointe des pieds. En réalité, il fait autant de bruit en marchant sur la pointe des pieds qu’en marchant normalement, et je l’entendis arriver bien avant qu’il n’eût atteint la porte. Il resta un bon moment sur le palier. Il réfléchissait, j’en suis sûre, à l’approche qu’il allait adopter, et j’attendis avec intérêt de voir le résultat.

Ouvrant toute grande la porte, il se dirigea droit vers moi et me souleva de mon siège dans une affectueuse étreinte.

— Vous êtes très en beauté ce soir, Peabody, murmura-t-il. Ce fourreau que vous portez… il doit être nouveau, il vous sied à ravir.

— Ce n’est pas un fourreau mais une robe de cocktail, répondis-je lorsque je fus en mesure de parler. Celle-là même que je portais hier soir et en plusieurs occasions précédentes. Je la porte parce que… Oh, Emerson ! C’est l’une des raisons, certes, mais… Emerson…

Je ne saurais décrire les efforts qu’il m’en coûta pour mettre un terme aux démonstrations d’affection de mon époux, que facilitait la coupe de ma robe de cocktail. Mais je commençais à soupçonner les véritables motifs d’Emerson, et le ressentiment affermit ma volonté. Je battis en retraite derrière mon fauteuil et déclarai avec sévérité :

— Je suis sur le point de me changer pour le dîner, et j’entends que vous fassiez de même. Je suppose que l’eau chaude est maintenant tiède. Si vous ne faites pas diligence, elle sera froide.

— Je ne me changerai pas pour le dîner, dit Emerson.

— Certainement si.

— Certainement pas.

— Bon… dans ce cas, je ne me changerai pas non plus.

L’expression de ravissement qui se peignit sur le visage d’Emerson aurait dû me faire honte, mais je suis au regret de dire qu’il n’en fut rien. J’enchaînai :

— Vous n’avez qu’à mettre cette superbe veste d’intérieur que je vous ai achetée au Caire – vous savez, celle que vous avez juré de porter uniquement quand vous serez sur votre lit de mort.

— Hmmm, fit Emerson. Seriez-vous fâchée, pour quelque raison que j’ignore, Peabody ?

— Fâchée ? Moi ? Quelle idée, mon cher Emerson ! Et mettez aussi le petit fez qui va avec.

— Crénom, Peabody, est-ce bien nécessaire ? Le maudit pompon me rentre sans arrêt dans la bouche.

Gargery admira beaucoup la veste d’intérieur, ce qui améliora légèrement la disposition d’esprit d’Emerson. Il admira encore davantage le fez, si bien qu’Emerson, avec un regard de défi à mon adresse, l’ôta de sa tête et en fit don au majordome.

— Et maintenant, Peabody, dit-il lorsque Gargery se fut retiré avec son trophée, assez de coups fourrés, hein ? Soyez franche avec moi. Qu’est-ce qui vous contrarie ? Les enfants ont-ils été particulièrement odieux aujourd’hui ?

— Pas plus que d’habitude, Emerson, merci de vous en soucier. Violet boude parce que j’ai réduit sa consommation de bonbons ; en revanche, les relations semblent s’améliorer entre Ramsès et Percy. Ramsès a testé l’ouchebti et le déclare authentique.

— Je savais bien qu’il l’était, Peabody.

— Moi de même, Emerson.

Il se servit de choux de Bruxelles.

— Vous n’avez pas eu de nouvelles, je suppose, de votre estimable frère ni de sa femme ?

— Non, pas encore.

— C’est fichtrement bizarre, Peabody. Cette péronnelle aurait pu avoir la courtoisie élémentaire d’écrire pour vous remercier et s’enquérir des enfants.

— Elle est sous surveillance médicale, je crois. Peut-être son docteur le lui a-t-il interdit.

— Et le cher James est en haute mer, hors de notre portée, maugréa Emerson. Comment avez-vous bien pu hériter de parents si détestables…

— Au moins n’ont-ils pas honte de montrer leur visage, répliquai-je. Quoique, pour être honnête, je dois avouer qu’ils feraient mieux de s’en abstenir. Vous rendez-vous compte, Emerson, que je ne connais pas un seul membre de votre famille, à l’exception de Walter ? Votre mère n’a même pas eu la courtoisie d’assister à nos noces.

— Estimez-vous sacrément heureuse qu’elle ne l’ait pas fait ! repartit Emerson en plantant violemment sa fourchette dans sa côtelette de mouton. Pardonnez-moi, Peabody. Je vous l’ai dit, elle m’a rejeté voici des années…

— Mais vous ne m’avez jamais dit pourquoi.

Emerson posa son couteau sur la table avec fracas.

— Pourquoi diable parlons-nous de nos parentèles respectives ? Vous me cherchez noise, Peabody.

— C’est vous qui avez abordé le sujet, Emerson.

— Peabody… ma Peabody chérie… dit-il d’une voix calmée, enjôleuse. Nous n’avons pas besoin de nos fichues familles. Vous, moi et Ramsès… tous pour un et un pour tous, hmm ? À présent, racontez-moi ce qui s’est passé aujourd’hui.

— Attendez voir… Ah ! oui, j’oubliais. Vous avez manqué Mr. O’Connell. Moi aussi, d’ailleurs. Il a laissé un message.

— Je sais, je l’ai lu. – Les lèvres d’Emerson se retroussèrent. – Je ne vois pas de quoi il se plaint, il a battu tous ses concurrents avec son article sur les ouchebtis maléfiques (même s’il a mal orthographié le mot). Six autres personnes en ont reçu : Petrie, Griffith, le directeur du Museum…

— Je sais tout cela, Emerson. J’ai lu, moi aussi, la prose de Mr. O’Connell. Cependant, par votre faute, il a manqué une histoire plus croustillante, et ses employeurs risquent de lui en tenir rigueur.

— Bien fait pour lui. Voilà qui lui apprendra à ne pas boire excessivement et à se méfier des égyptologues accommodants.

— Je le souhaite de tout cœur, Emerson.

Je m’attaquai à mes choux de Bruxelles. Emerson chipota en m’observant du coin de l’œil.

— Aimeriez-vous discuter de l’affaire, Peabody ?

— Ma parole, Emerson, que vous arrive-t-il ? dis-je avec un petit rire. Combien de fois avez-vous répété que, primo, il n’y avait pas d’affaire, et que secundo, nous ne devions pas nous en mêler ?

— Je n’ai jamais rien dit de tel ! protesta Emerson, avec une telle sincérité que je l’aurais cru si je ne l’avais entendu, de mes propres oreilles, tenir les propos incriminés. Enfin… il y a indiscutablement une affaire – de quelle nature, je l’ignore – et, par conséquent, je propose que nous en discutions. Pour ce qui est de ne pas s’en mêler… qui a eu la bonté de vous emmener dans une fumerie d’opium la nuit dernière, Peabody ?

— C’était généreux de votre part, Emerson.

— En effet, Peabody.

— Mais vous avez cédé uniquement parce que vous saviez que j’irais de toute manière.

— Humph ! Bon, voulez-vous en parler, oui ou non ?

— Certainement, Emerson. Passons-nous dans la bibliothèque, ou préférez-vous rester à table afin que Gargery puisse se joindre à la conversation ?

Le sarcasme était si subtil qu’il passa bien au-dessus de la tête de Gargery, qui sourit avec reconnaissance. Emerson se renfrogna.

— La bibliothèque, donc. Vous permettez, n’est-ce pas, Gargery ?

— Emerson, grinçai-je entre mes dents.

— Oui, Peabody. Tout de suite.

Son changement d’attitude était atterrant : pas d’emportement, pas de protestation, rien qu’un acquiescement courtois. Cela augurait bien mal de la confidence que j’attendais, mais je n’abandonnai pas tout espoir. Si Emerson passait aux aveux et s’en remettait à ma clémence – ou, mieux encore, s’il se confessait et me disait ensuite que cela ne me concernait fichtrement pas – nous pourrions alors aplanir la difficulté et passer à autre chose. Mais la confidence devait venir de lui. Le nom fatidique devait franchir en premier le seuil de ses lèvres.

Nous nous installâmes au coin du feu.

— Eh bien, Peabody ? Désirez-vous commencer ?

— Non, merci, Emerson.

— Ah ! Dans ce cas… hmmm. Nous avons pour le moment (car qui sait ce que demain nous réserve ?) trois groupes d’individus différents et apparemment distincts. Primo, ceux qui ont un lien avec le British Museum : Oldacre et le veilleur de nuit, Wilson, Budge et les savants qui ont reçu les ouchebtis. Secundo, la… euh… la filière égyptienne, pour reprendre votre expression.

Il observa une pause. J’attendis, le cœur battant, de voir s’il allait entrer dans les détails. Au lieu de quoi il feignit de toussoter avant de poursuivre :

— Tertio, les aristocrates dissolus. Il nous incombe, je crois, de déterminer si deux d’entre eux, voire les trois, sont impliqués d’une façon ou d’une autre.

« Ces maudits aristocrates ont un lien évident avec le Museum, de par le don de la momie et l’intérêt que professe Lord St. John pour l’archéologie. Ils ont également un lien avec le trafic d’opium et, par là même, peut-être, avec le groupe numéro deux. Toutefois, il y a à Londres un grand nombre de fumeries d’opium, tenues pour la plupart par des Chinois ou des Indiens. Rien n’indique que Lord Liverpool se procure son opium par l’intermédiaire d’un Égyptien.

— Hormis la remarque que nous avons entendue sur les « mécréants », dis-je froidement.

— Des Anglais fréquentent ces antres du vice. Nous en avons vu plusieurs la nuit dernière.

Et ce n’était pas tout ce que nous avions vu, la nuit dernière. Allait-il, à présent… ?

Non.

— Le prêtre détraqué ne constitue pas à proprement parler un quatrième groupe, puisqu’il est seul de son espèce. Quels sont ses liens éventuels avec l’un ou l’autre des susmentionnés – à moins qu’il ne soit un facteur totalement extérieur ?

Je me levai, avec dignité, du fauteuil dans lequel j’étais assise.

— Je ne vois pas l’utilité de poursuivre cette discussion, Emerson. Nous ne disposons pas d’informations suffisantes pour échafauder une opinion, encore moins une théorie. Je dois travailler à l’article que m’a demandé la Société pour la Sauvegarde des Monuments de l’Égypte Ancienne.

— Ah ! fit Emerson. Vous… vous n’avez rien à ajouter à ce que j’ai dit, Peabody ?

— Rien. Et de votre côté, vous n’avez rien à conf… à dire ?

— Euh… je ne pense pas.

— En ce cas, Emerson, je vais vous laisser à votre labeur et commencer le mien.

Emerson alla docilement à son bureau. Il jeta un coup d’œil sur son manuscrit et beugla :

— Damnation !

— Un problème, mon chéri ?

— Un problème ! Par tous les… euh, hmmmm. – L’effort qu’il fit pour sourire déforma ses traits à un point alarmant. – Euh… non, ma chérie. Pas du tout.

Ô lecteur, mon cœur sombra au tréfonds de moi-même. L’Emerson d’avant aurait tempétueusement arpenté la pièce en jetant ses plumes sur le mur et en me faisant savoir, en termes choisis, ce qu’il pensait de la fieffée prétention dont j’avais témoigné en osant retoucher son œuvre. Ce nouvel Emerson était un homme que je reconnaissais à peine – un homme que je méprisais. Seule la culpabilité, assortie de la peur d’être démasqué, pouvait engendrer une si répugnante civilité.

Emerson se remit au travail. Des grondements étouffés et le tressaillement convulsif de ses larges épaules trahissaient les sentiments qu’il n’osait exprimer à haute voix. Je ne pus me concentrer sur mon article, bien qu’il me restât seulement quinze jours avant ma causerie. Comment pouvais-je évoquer la chambre funéraire inondée de la Pyramide Noire sans me rappeler certains des moments les plus délicieusement tendres de ma vie conjugale, quand Emerson et moi-même avions fait le vœu de périr dans les bras l’un de l’autre ?

Je crois que mes lèvres tremblèrent de manière incontrôlable – mais brièvement, car je maîtrisai aussitôt mon émotion. De nouveau, je me promis de faire en sorte que, à aucun moment, une interrogation ou un reproche ne viennent souiller ces lèvres qui ne s’étaient jamais jointes à celles d’un autre que mon époux (quoique, une ou deux fois, il s’en était fallu de peu). Je décidai, pour me distraire, de prendre quelques notes personnelles sur l’Affaire du British Museum.

Par le passé, j’avais eu l’occasion d’expérimenter plusieurs méthodes en vue d’ordonner mes idées. Je ne les avais pas trouvées concluantes, sans doute parce que mon cerveau fonctionne trop rapidement pour être aisément ordonné. Je résolus d’essayer une nouvelle technique, en écrivant d’abord les questions qui demeuraient sans réponse et, en regard, un possible moyen d’approche. Pour ce faire, je divisai une feuille de papier en deux colonnes égales, puis j’intitulai la première QUESTIONS et la seconde MARCHE À SUIVRE.

La première question, par ordre chronologique, concernait la mort du veilleur de nuit, aussi écrivis-je :

1. « Qui est Ayesha, et où et comment Emerson l’a-t-il connue ? Interroger Ayesha… »

Les mots n’étaient pas ceux que j’avais eu l’intention d’écrire. Je les biffai.

Emerson leva la tête de son manuscrit.

— Votre plume aurait besoin d’être réparée, ma chérie.

— Merci de me le faire remarquer, Emerson.

Je repris au début.

1. « Le veilleur de nuit est-il décédé de mort naturelle ? » À côté, j’écrivis : « Demander au ministre de l’Intérieur de faire exhumer le corps ? »

Je ponctuai la phrase d’un point d’interrogation, car je doutai fort que le ministre de l’Intérieur, qui n’était après tout qu’un homme, répondît favorablement à cette requête – pourtant raisonnable – sans avoir de preuves plus concluantes d’un homicide éventuel.

2. « Quelle est la signification, s’il y en a une, des débris insolites découverts près du corps ? »

La procédure évidente à suivre, dans ce cas précis, était de demander à Mr. Budge quand la salle avait été balayée pour la dernière fois. Les débris pouvaient aussi bien être des détritus accumulés depuis des jours ou des semaines (voire des mois, d’après la conception du ménage que semblait avoir Budge).

3. « Les éclaboussures de liquide sombre étaient-elles du sang humain ? »

Se renseigner auprès de l’inspecteur Cuff ? J’en avais bien l’intention, sans me bercer d’illusions sur les résultats. La police, dans son ineptie, n’avait peut-être même pas remarqué lesdites éclaboussures, et l’inspecteur Cuff ne me dirait peut-être pas la vérité.

Je ne voyais pas d’autres questions se rapportant au veilleur, de nuit. Je passai donc à l’épisode suivant, c’est-à-dire au meurtre de Mr. Oldacre.

4. « Se droguait-il ? Dans l’affirmative, était-il un habitué de la fumerie d’opium que nous avons visitée ? »

Demander à l’inspecteur Cuff. En espérant que, pour une fois, il s’abstiendrait de faire des sourires et des courbettes et répondrait simplement à la question.

Ou alors – judicieuse idée ! – demander à Mr. Wilson. Il avait connu la victime. Miss Minton, qui semblait savoir tout ce que savait Mr. Wilson, était une autre source d’information à envisager. En fait, dans la mesure où elle était une femme, il convenait de m’adresser à elle en priorité, car j’avais plus de chances d’obtenir d’elle une réponse sensée.

5. « Était-il un maître chanteur ? Qui faisait-il chanter, et pour quel délit ? »

Il était hautement improbable que l’inspecteur Cuff répondît à ces questions, même s’il en connaissait les réponses. Là encore, Mr. Wilson et miss Minton pourraient se révéler utiles.

6. « Qui est le déséquilibré en peau de léopard ? »

La solution évidente consistait à prendre le chenapan en flagrant délit, mais ce n’était pas aussi simple qu’il y paraissait. Emerson avait déjà tenté et échoué ; après l’émeute au Museum, le vaurien risquait fort de ne plus se montrer en public. Alors ? L’attirer hors de son repaire et lui tendre un piège ? Mais comment ?

Aucune idée valable ne me venant à l’esprit, je laissai cette question en suspens et passai à la suivante.

7. « Qui a envoyé les ouchebtis à Emerson et aux autres ? Est-ce le même déséquilibré ? »

Je ne voyais pas quelle procédure adopter pour éclaircir ce point, mais j’inclinais à croire que la réponse était oui. Jusqu’à présent, le déséquilibré n’avait commis aucun acte de violence. L’avertissement des ouchebtis portait la même empreinte que le manège du « prêtre » au British Museum : sinistre en apparence, inoffensif dans la réalité. À l’instar de Ramsès, je tendais de plus en plus à penser que l’inconnu n’était nullement un dément, mais un homme doté d’un humour très particulier – et de moyens importants. Comme l’avait souligné Ramsès (maudit gamin !), il n’était point facile de se procurer des ouchebtis royaux.

Le poids des indices, en l’état, semblait désigner Lord Liverpool ou Lord St. John, ou un membre de leur « cercle ». Il existe cependant en Angleterre bien des collections d’antiquités privées, ceci grâce au pillage éhonté des sites du Proche-Orient par des marchands sans scrupules et des touristes désœuvrés. Ou alors, peut-être le « prêtre » avait-il dérobé les statuettes au Museum. Il semblait bien connaître les lieux et, compte tenu de l’organisation déplorable du musée, il y avait probablement des centaines d’objets oubliés dans les caves poussiéreuses comme dans les réserves. Par sa connaissance de l’Égypte ancienne, le « prêtre » me faisait l’effet d’un érudit plutôt que d’un dilettante ; toutefois, j’avais peine à croire qu’une de mes relations pût se comporter de façon si extravagante. Le jeune Mr. Wilson était auprès de nous lorsque le « prêtre » avait fait l’une de ses apparitions. Petrie… Non, certainement pas Petrie : cet homme était totalement dépourvu d’humour.

8. (Je venais juste d’y penser, ce qui expliquait l’absence d’ordre chronologique.) « Y a-t-il eu des circonstances particulières, lors de l’acquisition de la momie, qui puissent expliquer les événements ? » Si improbable que cela parût, la question méritait selon moi d’être explorée, et Lord Liverpool était la source tout indiquée. Il m’avait proposé de lui rendre visite ; pourquoi ne pas répondre à cette invitation ? Et en profiter, tant que j’y étais, pour voir s’il n’y avait pas une vitrine vide ayant pu contenir des ouchebtis.

9. Le comte était un opiomane. « Quelle fumerie d’opium fréquente-t-il ? Ses amis et lui sont-ils les fameux « mécréants » dont parlait l’homme dans le panier à salade ? »

D’une main ferme, j’inscrivis, dans la colonne MARCHE À SUIVRE : « Questionner Ayesha. »

La onzième plaie d'Égypte
titlepage.xhtml
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Peters,Elizabeth-[Peabody-05]La onzieme plaie d'Egypte(1988).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html